Je tue tous mes cactus.
Pourtant, j’ai le pouce vert.
Je suis même capable de faire vieillir des plantes d’intérieur. J’en ai une depuis 20 ans, et elle est toujours en grande forme. Pourtant, les cactus, eux, je ne suis pas capable de les maintenir en vie.
J’ai tout essayé : les mettre à l’ombre, au soleil ou dans mon bureau. J’ai aussi essayé de ne pas les sortir de leur pot d’origine pour ne pas les stresser avec le rempotage, je leur ai achetés des engrais spécifiques. Mais rien à faire, je les tue tous.
Faut le vouloir pour tuer des cactus, c’est la plante la plus résistance qu’il existe. Elle survit avec rien; et rien n’est pas une métaphore. Pas d’eau, pas d’amateurices de plantes pour lui chuchoter à l’oreille de belles paroles. Il n’a pas besoin de tout ça.
Pourtant je tue tous mes cactus.
Aucun n’a survécu dans ma maison. J’ai reçu les plus originaux comme les plus communs. Cactus et plantes grasses n’arrivent pas à vivre entre mes mains.
Alors je me suis mise à observer mon comportement vis-à-vis de mes plantes, comment je communique avec elles, les soins que je leur accorde et le temps de lumière auxquelles je les expose. Pourquoi certaines sont ponctuellement importantes dans ma vie, et d’autres sont mises de côté. Ce qu’elles m’offrent, comment elles m’aident à expérimenter la spiritualité. En somme, j’ai observé nos interactions.
J’aime mes plantes, elles occupent une place importante et privilégiée dans ma vie. Elles sont belles et en santé. Je les choisis par intuition, elles se complètent de leur présence. Elles aiment la musique, que je leur parle et que je les nettoie. Que je les nourrisse aussi. Et pour la plupart d’entre elles, elles me le rendent bien.
Pourtant, je tue tous mes cactus.
Après la perte d’un merveilleux Cereus Peruvianus Monstruosus que j’aimais d’amour profond tellement il était beau (et surtout qui m’a coûté cher, en plus!), j’ai décidé de comprendre la situation. J’ai regardé son pot de plus près et la qualité de la terre aussi. Et c’est là que j’ai découvert ce qui allait être la réponse à mon problème. Le pot de mon Cereus avait un réservoir qui était plein d’eau au moment où j’ai découvert sa mort .
Est-ce que ça serait à cause de l’eau? Aurais-je trop arrosé mes cactus?
Puis l’Épiphanie! L’Eurêka qui a apparu dans ma tête.
Et c’est là qu’en un instant, j’ai vu défiler dans mon esprit toutes ces images où je me vois arroser copieusement mes cactus, toutes les semaines, à la même heure, la même quantité, sans me rendre compte que ces plantes avaient des besoins particuliers et qu’elles ne nécessitaient pas tant.
Je n’ai pas été à l’écoute de mes cactus.
Je ne les ai pas écoutées. Je n’ai pas écouté la sécheresse de leur terre qui est leur habitat naturel, j’ai supposé qu’ils avaient besoin d’être bien arrosé, parce que arroser et leur donner de l’amour c’est quelque chose que je fais bien, c’est une chose pour laquelle j’ai été appelée. Pourtant, ils n’ont pas besoin de tout ça. Mes cactus ont besoin d’un minimum, ça ne veut pas dire qu’ils n’ont besoin de rien, non, ils ont besoin d’un équilibre entre vivre doucement avec peu et une petite dose d’attention de ma part.
Alors, j’ai réalisé que ce n’est pas la faute des cactus, des pépinières ou des conditions climatiques. La mort de mes cactus, c’était ma responsabilité. Seulement la mienne. Je savais que trop d’eau pourrait les tuer, mais je les ai quand même arrosés.
Parce que tu sais quoi, certaines fois, J’EN FAIS TROP. Oui, j’en fais trop. Et pour quelles raisons? Parce que je veux faire plaisir ou je veux être aimer, remarquer, ressentir la satisfaction d’en donner plus que de recevoir. Et en faire trop peut être interprété de différentes façons.
Apprendre à me déconstruire
Apprendre à se déconstruire est une prise de conscience existentielle que l’on vit seule et qui est douloureuse. C’est une véritable crise de maturation qui nous oblige à soulever les couches une à une qui composent notre âme.
J’ai amorcé depuis quelques temps un processus de déconstruction pour essayer de comprendre pourquoi je reproduis toujours les même schémas, en étant attiré par le même type de personnes et de situations, tout ça en sachant très bien que l’expérience sera vouée à l’échec.
J’ai constaté qu’il y a quelque chose de réconfortant et de sécurisant à reproduire les mêmes gestes. Pour moi, en faire trop, c’est rester dans ma zone de confort où je sais quoi dire et quoi faire pour avoir l’illusion de faire du bien à l’autre.
J’en fais trop aussi, car j’ai l’impression que l’on attend beaucoup de moi. Alors, je me sens obligée de faire plaisir tout le temps à un maximum de personnes, tout cela à mes risques et périls.
J’ai aussi exploré toutes les expériences de conditionnement social auxquelles j’ai été exposées, de mon enfance à mon âge adulte. J’en ai déduit que je proviens d’un milieu social qui valorise l’accueil et l’hospitalité. Tout donner à un étranger est un acte d’amour important dans ma communauté marocaine. Je revois mes parents accueillir du monde sans qu’ils aient le moyen de le faire, sans limites, offrant la nourriture, le gîte et la sécurité.
D’ailleurs, j’ai grandi avec l’adage de mon père : « Donne plus que tu espères en recevoir ». Toujours donner plus.
J’ai aussi remarqué que chez les personnes racisées, notamment les femmes, c’est un comportement qui est très présent et surtout très valorisé. Ce sont les rapports d’oppressions et la servitude qui découlent de la misogynie, le patriarcat, la colonisation et de l’esclavagisme qui sont, en partie, responsables de ce comportement.
En apprenant à me déconstruire, j’ai aussi appris à m’observer de l’intérieur. J’ai compris qu’en prenant conscience de certaines choses, on peut les voir évoluer. On peut se voir évoluer. Accepter qu’on a fait des erreurs, accepter que nos mots et nos gestes soient interprétés subjectivement par chacun et chacune, au point que leur sens soit éloigné de nos intentions premières. Oui, ça arrive. Et ça fait partie de la game du lien social.
Alors, pour améliorer ma pratique, j’ai effectué un travail en amont. J’ai analysé ma positionnalité. D’où je viens, et où je suis arrivée. L’image que je dégage. Les mots que j’utilise. Les messages que je fais passer. Je suis allée très loin dans le processus de décolonisation de mon état d’esprit. J’ai fait l’effort de me parler franchement.
Après cet exercice, je sais plus où je dois m’améliorer. Je sais aussi quand est-ce que je dois déposer certaines situations que je ne peux contrôler. De plus, j’ai compris que dans la vie, on ne peut pas rendre heureux et heureuses tout le monde. Et que même si tu en fais trop pour essayer de les convaincre que tu es là pour eux, ce « trop » devient une nuisance dans la relation.
J’ai appris à faire régulièrement cet effort d’auto-analyse, parce que je suis un être social et d’interaction. Je me sens responsable de le faire.
Je ne serai jamais parfaite.
Je n’ai toujours pas adopter de cactus depuis.
Par contre, j’y pense fortement. Je m’y prépare, même. Je veux être sûre de maitriser leur langage pour leur offrir le meilleur environnement et le meilleur de moi-même. Je vais prendre mon temps.
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