Je ne sais pas si j’écris cet article plus pour moi que pour toi.
Pour l’effet salvateur que cela me procure. Pour me reculer et pour constater tout le chemin que j’ai parcouru depuis toutes ces années.
Quand la peur me prend à la gorge, elle me paralyse. Littéralement. Mon cerveau bogue. Mes oreilles se bouchent, ainsi que les pores de la peau de mon crâne, privant à ma cervelle l’oxygène nécessaire pour respirer. Fini, je ne vois plus clair.
Je suis si paralysée que j’ai l’impression que la mort va immédiatement me frapper. Mon système lymphatique me brûle, et il m’empêche de bouger. Je suis gelée par la peur, et ma respiration est réduite à un filet d’air qui entre et qui sort de mes poumons, juste assez pour me maintenir en vie.
J’ai mal. Vraiment. Avoir peur me fait si mal.
Mes peurs sont souvent provoquées parce que je pense perdre le contrôle de la situation, surtout si j’ai l’impression de ne pas pouvoir protéger mes enfants. Là tu me perds, la panique m’envahit. Quand les filles étaient bébés, j’avais peur de tout. Qu’on me les vole, que je les fasse tomber des escaliers, qu’elles s’intoxiquent avec des aliments simples. Que je perde mon travail, et que je ne puisse pas les nourrir. Tout m’effrayait. J’avais même peur de conduire quand elles étaient dans la voiture avec moi.
En avoir la trouille de sa propre ombre.
J’ai réellement eu l’impression d’avoir passé une partie de ma vie à avoir peur.
Ces peurs sont le résultat complexe des milliers d’expériences traumatisantes que j’ai eues dans ma vie. Quand on est une fxmme racisée, les espaces d’expériences discriminatoires se multiplient. Et je m’explique.
Tu vis dans une société qui est hostile à ta participation pour sa construction. Tu es invisibilisée et tu fais l’objet de fétichisation sociale, culturelle et sexuelle. Ton plafond de verre est si bas que les moyens pour t’élever sont réduits.
Ta réussite sociale est le fruit d’une longue bataille que tu as remportée à bout de bras. Et je peux te dire que tu en sors traumatisée, violentée et hypersensible. Normal que tout te fasse peur par la suite.
Quand tu es une fxmme racisée, tu proviens souvent d’une communauté aux idées conservatrices qui ne permettent pas l’expression de soi, sous couvert d’interprétations douteuses d’us et coutumes, autant religieuses que culturelles. On y contrôle le corps de la fxmme et ses choix personnels; et celles qui se permettent d’être elles-même s’exposent au danger d’être violentées, ou qu’on les fasse taire par tous les moyens nécessaires.
Imagine toutes les fois où j’ai dû lutter, m’obstiner et être agressée de la part de certain.es. Je suis féministe depuis l’âge de 6 ans, ça te donne une idée de la durée de ma bataille. Donc, après cette dichotomie d’expériences traumatisantes, tu sors chiffonnée comme du papier de soie. Et c’est absolument légitime d’avoir peur de tout.
Alors, tu apprends à vivre avec. Pas pour la faire disparaître, non, mais pour la faire réduire jour après jour, pour qu’à un moment donné, elle soit assez petite pour ne plus être envahissante.
Tu la confrontes aussi. Et comme arme de défense, tu t’accroches au pouvoir de tes introspections, de tes méditations et de ta communication avec tes ancêtres. Cette situation te fait peur, mais tu prends ton courage à deux mains, tu bouches ton nez en te le pinçant avec les doigts, et tu sautes dans l’eau.
Puis, tu te rends compte, en remontant à la surface, que tu as pu surmonter ça. Et plus facilement que tu le ne croyais.
Et la suite? Tu passes à la prochaine. Tu protèges les plus jeunes, et tu honores les anciennes. Tu mets ton poing sur la table quand tu sens l’injustice, parce que la peur ne te paralyse plus. Du moins, elle se gère plus facilement, mettons.