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De diaspora en diaspora : faire sa valise et prendre le large

Mon grand-père maternel est d’abord arrivé seul en France autour de 1965; il avait laissé sa femme, ma grand-mère, ma mère (qui avait une dizaine d’année), ma tante, et trois de mes oncles au Maroc, plus exactement à Casablanca. Je l’imagine toujours, bel homme qu’il fut, habillé d’un trois pièces à la coupe pincée digne des années 60, la barbe fraichement rasée et la moustache taillée avec précision. Je sens même de là son parfum d’eau de Cologne si forte, que quand tu lui faisais la bise, l’odeur restait collée sur tes joues pendant des heures. Débarquant sur le quai de la gare de bus de Perpignan avec pour seul bagage une mallette en fer blanc, il s’arrêtera dans le département des Pyrénées-Orientales, parce que le climat est le même que son douar chéri. Il y plantera une partie de ses racines jusqu’à son dernier souffle.

En 1968, sa famille le suivit, devenant ainsi la première génération de louled dyal Driss (trad. : les enfants de Driss) à s’installer en Europe du Nord.

Mon grand-père Driss avec mon oncle Abdellah autour de 1968, Perpignan. Photo de famille.

C’est en faisant mes bagages une deuxième fois pour venir m’installer au Canada, plus exactement au Québec, que j’ai réalisé que je m’expatriai. Quand je vivais en Europe, aller passer les vacances au Maroc ne relevait pas du grand exploit : ma mère nous mettait dans la voiture, la chargeait de sacs, de cadeaux pour la famille, amenait la grosse glacière pour manger sur la route, et en moins de 24h, on se retrouvait dans le sud de l’Espagne, à Algésiras, pour prendre le traversier jusqu’à Tanger. Le Maroc, c’était la porte à côté. C’est comme si on allait au chalet.

Ici, l’océan Atlantique est une redoutable frontière pour aller en Afrique. Tout est plus compliqué. Beaucoup d’heures de vol, pas de possibilités de prendre une tonne de bagages, et surtout, pour s’acheter les billets d’avion, tu dois hypothéquer à nouveau ta maison tellement ils coutent cher.

Je suis devenue une expat, comme on dit. J’appartiens à une diaspora.

Mais à laquelle, justement? La diaspora française, parce que je suis née et j’ai grandi en France, ou la diaspora marocaine parce que je suis d’origine marocaine? En fait, tout dépend de mon lieu de résidence, et aussi, de la charge émotive que l’appartenance à tel ou tel groupe va susciter chez moi. Ainsi que l’histoire de la migration.

Définition de la diaspora : Existe-t-il une diaspora marocaine?

Le mot « diaspora » vient du grec ancien qui veut dire « dispersion ». Dans ce cadre étymologique, on parle alors de la présence d’un peuple vivant hors de son territoire. L’expression a d’abord été utilisée pour qualifier l’exil des peuples juifs persécutés. Puis, par extension, il s’est appliqué à toutes les communautés qui s’installent ailleurs.

Pour les vagues migratoires de ressortissants marocains, ce ne sont pas tous les experts qui s’entendent pour les qualifier de diaspora. En fait, puisque les raisons d’immigration sont très souvent économiques (travail) plus que politique, que la communauté ne s’organise pas en lobby, et que finalement les Marocains n’adoptent pas spontanément cette expression, Rachid Alaoui préfère qualifier cette large population d’au moins 3,5 millions de personnes de communauté transnationale.

Moi, je me permets d’utiliser le terme diaspora, parce qu’au-delà de trouver un travail à la hauteur de ses espérances, je pense sincèrement que le besoin d’émancipation et fuir un inéluctable conservatisme du Maroc sont des raisons légitimes et politiques de départ qui touchent plus qu’une minorité d’individus. Dans cette situation, le qualificatif de diaspora trouve sa pleine splendeur. Cependant, la diversité des migrations marocaines est telle, qu’il est pertinent de parler plutôt d’expériences diasporiques (au pluriel).

Le cas de l’hétéroclite diaspora marocaine

Donc, j’ai une attache avec trois pays qui se trouvent sur trois continents. Je me retrouve en position triplement diasporique puisqu’en France, j’appartenais à la diaspora marocaine, et ici au Canada, j’appartiens à la diaspora française et à la diaspora marocaine qui s’est installée au Québec. Mes questions identitaires m’ont étourdie quelques fois, je vous avouerai.

Cependant, y’a toujours quelque chose qui n’allait pas, et je m’explique.

L’histoire du déplacement de ma famille en France dans les années 60 s’inscrit dans la première et véritable vague d’immigration marocaine. En effet, les accords bilatéraux de recrutement signés entre les deux pays (1963-1974) favorisaient la migration de jeunes hommes sans qualifications professionnelles (ni même de scolarité) issus des milieux ruraux et pauvres, et elle était destinée à combler les besoins de main-d’œuvre pour la reconstruction d’après-guerre. Les recruteurs français les choisissaient parce qu’ils étaient robustes et qu’ils pouvaient travailler de manière acharnée. Pas par souci humaniste… Mon père me disait souvent : « Ils ont fait venir des ouvriers, ils veulent que leurs enfants restent ouvriers ».

Mon grand-père était analphabète et il subsistait aux besoins de base de ses enfants. Pas plus. La réussite de ma famille, je la dois à des personnes qui se sont battues contre un système, qui dès le départ, les destinait à les faire échouer. Nous avons travaillé fort et nous avons soulevé au-dessus de nos têtes et au bout de nos bras un succès que nous avons arraché à la destinée qu’on avait écrite pour nous. Je ne suis pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche, croyez-moi.

Depuis les années 80, le Canada a été un pôle d’attractions pour la catégorie sociale de Marocains qui sont très qualifiés, c’est-à-dire qu’ils ont eu la chance de faire des études universitaires pas accessibles au reste de la population au pays. Ils sont passés à travers le rigoureux processus d’immigration canadien et québécois qui écume ses candidats afin de ne choisir que la crème de la crème. Cette population provient de la classe sociale privilégiée du Maroc, assez riche pour se payer une scolarité post-secondaire, et, on ne va pas se le cacher, très souvent blanche (ou white passing). Je vous dis ça, car la société marocaine fonctionne encore de manière coloriste où les noirs et les métisses sont en bas de l’échelle sociale.

Donc, je rencontre des Marocains de la communauté ici à Montréal, et, nous parlons un langage différent. L’histoire de leur passé ne ressemble pas à la mienne, ils n’ont pas connu la « ségrégation » et le racisme intense comme je l’ai vécu en France. Ils viennent de milieux privilégiés, et ils doivent s’adapter à une nouvelle réalité du marché du travail qui ne reconnait pas leur diplôme obtenu au Maroc. Nos questionnements identitaires sont totalement différents, car nos expériences et notre rapport au Maroc n’est pas le même. Ce qui fait que je ne me suis jamais reconnue dans cette communauté. On m’a même dit une fois que je n’étais pas une vraie Marocaine.

Et que dire de la diaspora française. Composée de personnes blanches de souche qui, bien malgré eux, continuent à reproduire (même à 6000 km de là) un rapport colonial avec nous Français des anciennes colonies. Même s’ils le font inconsciemment, ils le font pareil. Quand j’interagis avec eux, ça m’étouffe, ça me renvoie à des traumatismes de condescendance et de micro violences que j’ai connues toute ma vie quand je vivais encore dans l’Hexagone.

Alors me voici, comme une âme en peine, errante et ne sachant pas auprès de quel groupe je pourrais me rattacher. Et il y a eu cette invitation…

Le langage universel de la narrative diasporique

C’est la diaspora caribéenne qui m’a accueillie comme une de ses filles. Haïti et les Antilles françaises.

On parle le même langage, je m’identifie aux parcours migratoires. Nous avons les mêmes cheveux, la même couleur de peau. On m’invite à toutes les fêtes. On mange beaucoup lors des repas, y’a des enfants partout, et la musique résonne fort en arrière. Les tontons hurlent au téléphone, comme les miens le font. On m’appelle « ma chérie », on me donne à manger et une boîte tupperware avec des restes du gargantuesque repas qu’on a fait. On me parle en créole, tellement on oublie que je suis Marocaine. On m’a adoptée telle que je suis, sans jugement, ni me faisant sentir comme une étrangère. Je suis l’une des leurs.

Depuis toutes ces années, maintenant.

Ça fait quelques temps que j’observe que ce sont les générations d’enfants d’origine marocaine nées au Canada qui me ressemblent le plus. D’abord, elles se reconnaissent beaucoup dans l’imaginaire collectif nord-africain de la France, que ce soit par la réussite des footballeurs ou des rappeurs, par exemple. Ensuite, elles aussi sont victimes de racisme et de profilage racial, pas aussi intensément qu’en Europe, mais assez pour que ce soit violent à vivre. Et je ne te parle même pas de l’islamophobie. Alors, j’ai mis en-dessous de mes ailes ces petites sœurs et ces petits frères qui sont très souvent présent.es dans mes salles de classe, comme mes étudiant.es.

Diaspora en perpétuelle construction, identité en trait-d’union, s’offrir le luxe des multi-appartenances communautaires. Pleurer un passé inconnu, mais rire à un présent de plus en plus progressiste et sublimé. Jaspora.

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