Le travail intellectuel, moral et physique (je dirais même épidermique, tellement qu’il est fort), que nous effectuons pour nous décoloniser, nous amène à explorer toutes les facettes dans lesquelles le racisme systémique s’est infiltré.
Je ne peux m’empêcher de contribuer à la réflexion et à la dénonciation des inégalités sexuelles faites aux femmes (dont l’expression paroxyste se traduit par la culture du viol) sans passer par la case de l’intersectionnalité. Nous, personnes racisées, peu importe la région du monde d’où nous provenons, nous portons sur les épaules le fardeau de nombreuses discriminations. Et le racisme sexuel pèse lourd.
Je vais vous parler aujourd’hui du fétichisme racial et de son cliché négatif, le rejet sexuel. En adoptant du mieux que possible une position inclusive et universelle au niveau des identités de genre et de provenance, mon analyse s’attardera plus particulièrement sur les femmes nord-africaines. Toujours dans le but de leur donner une voix.
J’en ai eu des dates avec des personnes blanches qui aimaient dont ben ça fréquenter des ethnies, comme elles disent. Et à chaque fois que je me suis fait dire ça, j’avais l’impression que cette personne a pu avec moi cocher sur sa bucket-list : femme arabe – check – testée.
La fétichisation raciale
Ok, on a tous l’image d’Épinal en tête de la personne adepte de fétichisme comme quelqu’un qui trippe sur le latex ou qui aime être tirée en laisse. Ça peut être ça. Mais dans un contexte racial, la fétichisation ou l’exotisation se définit comme une vénération, une obsession à l’égard d’une personne racisée afin de l’objectiviser sexuellement. Tu sais ce gars ou cette fille qui fait une fixette sur un type racial au point que tu te demandes si c’est pas malsain son affaire.
Alors, quel mal y-a-t-il d’aimer plus un type d’individus qu’un autre type? Tous les goûts sont dans la nature, tu me diras! Le problème, c’est quand cette attirance a la saveur amère d’un comportement colonialiste, dominateur et souvent patriarcalement fondamental jusqu’à la déshumanisation de la personne désirée. Ouais, jusque là. Malheureusement.
La fétichisation raciale s’exprime de plusieurs façons et sur plusieurs plateformes, et aucune personne issue de l’immigration non caucasienne n’échappe à ce racisme ordinaire. Dans ma communauté ethnique nord-africaine, il existe une longue liste de surnoms qu’on donne aux femmes. Tous discutables et qui ont eu l’occasion de devenir rapidement connotés.
Quand j’étais étudiante en DEA à Montpellier (France), j’étais la seule racisée de ma cohorte. J’avais un professeur de sociologie d’origine Kabyle qui se vantait de ne savoir que parler l’amazigh (le berbère) et d’une condescendance abyssale. Un jour, devant toute la classe, il m’a interpelée en me qualifiant : « Vous, Mlle Laabidi, la beurette représentative ». Étiquette collée, corps et âme hypersexualisés.
Le terme « beurette » est le féminin du mot « beur » qui veut dire arabe en verlan et qui a connu ses heures de gloire dans les années 80 en France, notamment avec la « Marche des beurs » et tout le mouvement « Touche pas mon pote » de SOS Racisme. Mouvement que je connais bien, puisque ma mère militait à cette époque contre le principe de préférence nationale à l’emploi, en somme, lutter contre le geste raciste de n’engager que des blancs français. Rapidement, le mot beur a eu son verlan non-binaire « rebeu », et le terme beurette a été récupéré pour désigner un type de femmes nord-africaines et arabes à l’imagerie largement inspirée de la vie rocambolesque des sœurs Kardashian. La catégorie pornographique la plus recherchée en France (de manière hypothétique, je dirais aussi en francophonie) demeure beurette, il suffit de la taper dans Google (voir photo). Le mouvement #pasvosbeurettes qu’on a connu ses derniers temps sur les réseaux sociaux et qui a résonné à l’international (notamment ici à Montréal) a tenté de dénoncer ce terme péjoratif, raciste et misogyne. Pourquoi? Parce que la sphère intime est politique, puisqu’elle implique l’instrumentalisation du corps de la femme comme outil de soumission.
Retournons aux joyeux temps des colonies pour citer Michel Sardou. L’imagerie coloniale a surexploité le corps de la femme mauresque. Il me vient en tête tous ces tableaux de Delacroix ou de Renoir. Ces représentations féminines telles des gazelles du désert gambadant à travers les palmeraies pour se retrouver dans un Harem afin d’y offrir la Danse des sept voiles. Tu vois un peu ce que je veux dire. Ces horribles photos d’hommes blancs qui exhibent des femmes noires comme des trophées de chasse; et de femmes blanches qui retirent le voile aux femmes musulmanes en prétextant les émanciper. Ouf, ces images résonnent en moi avec une telle violence. L’oppression sexuelle sur les femmes a toujours été une arme de guerre colonisatrice et lorsque les peuples se sont décolonisés. La fétichisation raciale nous renvoie à ce traumatisme.
C’est dramatique de constater que nous sommes surreprésentées dans l’univers de la pornographie et qu’en échange de cela, nous sommes totalement absentes, invisibles et sans voix dans nos espaces publics, décisionnels et d’influences, et ce, dans nos sociétés respectives.
Le rejet sexuel
Puis, tu as le rejet sexuel où tes traits physiques métissés sont considérés comme laids autant chez les personnes de ta communauté racisée, que les autres. Combien de témoignages ai-je entendus de femmes maghrébines qui se sont faites conseillées par leurs mères de se faire défriser les cheveux pour qu’elles puissent trouver un mari.
En plus de nous trouver trop soumises, trop coincées par la pression de la religion. Donc, pas ouverte à la sexualité. Ce constat est aussi applicable à toutes les personnes qui ont des préjugés raciaux lorsque vient le temps de séduire quelqu’un, bien évidemment.
Quand toute ta vie, tu as été fétichisé.e par des « mononcles » dégueulasses et rejeté.e par des personnes qui te plaisaient sous prétexte que tu sois racisé.e, ça développe chez toi pas mal de répercussions sur ta santé mentale. Et juste pour ne citer que celles-ci : une faible estime de soi, des épisodes de dépression, le sentiment d’être un objet, le sentiment de déshumanisation et surtout, tu es super vulnérable en amour. La vulnérabilité, c’est vivre des relations abusives, car notre estime de soi est si altérée qu’on pense qu’on ne mérite pas mieux. Parce qu’on a une image fausse de soi. On s’expose à toutes les violences à caractère sexuel en attirant les pires prédateurs. Tout ça à cause de racisme sexuel.
Alors quoi faire pour contribuer à rendre les relations amoureuses harmonieuses quand on veut faire sa part en tant qu’allié.e?
- Ne pas comparer la beauté des femmes et personnes racisées à des animaux (noire = panthère, arabe = gazelle) ou à des clichés outranciés genre une geisha pour asiatique
- Ne pas fétichiser les éventuels enfants métisses que tu pourrais avoir une personne racisée. Ce sont des être humains, pas des puppy
- Avoir une relation amoureuse n’est pas une expérience conceptuelle qui peut s’afficher sur les réseaux sociaux
- La ligne est mince entre aimer un type de personne et le fétichiser. C’est dans l’écoute, le respect de l’histoire de l’éventuel.le partenaire que la bienveillance trouvera sa place
- Et pour finir, nous sommes toustes concerné.es par la réappropriation de nos narratives. Elle est là la clé de la réussite
Dans un processus de guérison et de revalorisation de nos corps meurtris par la domination, l’idée est de prendre conscience de cette forme de racisme ordinaire. Se défendre intellectuellement, physiquement et socialement, comme un acte de réparation.
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👌🏽
Bravo Myriam ! Quel bel article qui en dit la vérité que tu décris tellement bien et encore qu’une partie de la réalité que nous les femmes racisées vivent toutes notre vie aussi bien vu par les hommes et même les femmes blanches qui te sortent de ces compliments dont tu ne sais si vraiment ce l’est un ou une envie fétiche … » vous êtes tellement belles , vous sentez toujours bon, votre teint est toujours rayonnant, vos cheveux sont tellement luisants et beaux, vous êtes très exotiques … » et j’en passe ! Merci et on en veux encore … xox
Merci pour cet article, superbement écrit. Je ne connais pas cette réalité (je suis non-racisée) mais c’est important de partager ce genre d’expériences.
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de le lire. Je suis contente que vous soyez sensible.